TRIBUNE : «Le loup, ou la nécessité d’une écologie fondée sur la délibération»

Face aux tirs de loups multipliés « sans discernement », plus de 80 experts et citoyens dont Thierry Thévenin pour les SIMPLES appellent dans cette tribune à constituer un contre-pouvoir « enraciné dans les milieux de vie ».

Au tournant des années 2010, le plan national d’action loup visait encore à maintenir un équilibre, accompagner la recolonisation naturelle d’une espèce protégée tout en soutenant les éleveurs confrontés à la prédation. Quinze ans plus tard, sous couvert de pragmatisme, la prévention graduée fondée sur la protection des troupeaux, l’effarouchement et, en dernier ressort, des tirs d’élimination ciblés, a glissé sans débat public vers une logique de contrôle démographique.

Pour maîtriser la croissance de la population lupine, le gouvernement fixe désormais un taux de prélèvement de 19 %, révisable à la hausse, sans lien avec la réalité des attaques. En multipliant sans discernement les tirs, la politique actuelle alimente le rejet de l’espèce, y compris là où la prédation demeure rare.

Cette dérive s’est trouvée renforcée, à l’échelle européenne, par l’assouplissement récent de la protection du loup dans la Convention de Berne et la directive habitats. Le passage d’un régime de protection stricte à une simple gestion réglementée se traduit en France par la suppression de l’obligation de prouver l’épuisement des alternatives avant toute mesure létale. Cette simplification administrative fait de l’abattage une formalité déclarative et consacre, de fait, ce qui devait rester un ultime recours, au détriment des mesures de prévention, comme le pivot du plan loup.

La décision prise en 2024, sous la pression de la FNSEA [syndicat majoritaire productiviste] et de la Coordination rurale, de classer les élevages bovins comme non protégeables confirme cette tendance. Exclues des aides financières du plan loup, les fermes concernées ne peuvent plus que mettre en œuvre des tirs. Or les études montrent que ceux-ci ne se substituent pas durablement aux mesures de prévention et peuvent même aggraver la prédation en désorganisant les meutes. La facilitation systématique des tirs nourrit un climat de confrontation où certains représentants syndicaux et politiques appellent à des battues punitives hors cadre légal et s’en prennent aux associations de défense de l’environnement.

Cette stratégie entretient une illusion de maîtrise tout en éludant les causes profondes de la détresse des éleveurs : isolement social, précarité des fermes, artificialisation des terres, dépendance aux intrants, prolifération des zoonoses, alors que plus de la moitié des agriculteurs partiront à la retraite d’ici 2030.

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